Samedi matin, départ à 5h pour le Tibet. Le pick-up est à l'heure! Dans le 4X4, je suis avec un couple d'australiens, un américain et un népalais. Nous entamons alors un long chemin vers le poste frontière de Kerung qui a ouvert il y a deux ans suite à la fermeture du précédent point de passage après le séisme de 2015. Alors ce n'est pas long en distance mais en temps... Parce que si un nouveau poste frontière a été créé, ce n'est pas le cas de la route qui va avec! Je comprends très rapidement pourquoi dans le descriptif du séjour il est mentionné transport par 4X4.


Alors comment vous dire, nous empruntons une... piste, je crois que c'est ce qui définit le mieux le la voix d'accès, qui est dans un état... lamentable, catastrophique... les mots me manquent! Le trajet est composé d'une série de mouvements perpétuels selon trois axes, gauche-droite, devant-derrière, en haut-en bas, on saupoudre abondamment de virages, ben oui on traverse quand même des montagnes, pour rajouter au fun, on arrose généreusement de poussière et enfin, parce que il faut encore pimenter tout ce petit mélange, on ajoute la conduite à la népalaise composée d'accélérations brutales et de freinages tout aussi violents, enfin quand la piste le permet (heureusement ce n'est pas trop souvent!). Bref, un trajet bonheur!!!! C'est simple, on n'est pas parti depuis une heure qu'il y en a déjà deux de malades, nous faisons donc une petite pause évacuation du contenu stomacal. Ils resteront livides jusqu'à l'arrivée à la frontière ce qui prends quand même 7 heures, si, si...et oui, je sais il n'y a qu'une centaine de kilomètres. Dans des cas pareil, tu es carrément heureux de ne pas avoir le mal des transports! Les paysages, quand la poussière nous permet de les apercevoir sont assez spectaculaires.


Alors maintenant le passage de la frontière. Nos sacs sont fouillés par les népalais en sortant. Bien évidemment, il n'y a pas de scanner, cela se passe à l'ancienne, tu déposes ton sac sur une table, tu ouvres et tu sors le contenu. Si tu es chanceux, comme moi (parfois c'est cool les yeux bleus quand tu les accompagnes d'un namasté et d'un grand sourire), ce n'est qu'une fouille sommaire, sinon tu sors tout. Autant dire que cela traîne un peu. Quand tu arrives côté Tibet, côté chinois donc, tu changes complètement de monde. Un grand bâtiment, moderne, tout neuf, alors que côté népalais c'est une malheureuse guérite. Première question du douanier chinois au Tibet : "avez-vous des livres?". Et oui tout livre sur le Tibet qui a le malheur d'évoquer le Dalaï-Lama est confisqué, le Lonely Planet aussi. Après cette première fouille, tu passes tes bagages au scanner. Tout se passe très bien jusqu'au passage du népalais. Les douaniers lui font ouvrir sa valise qui est à moitié pleine de malas (chapelets bouddhistes), il doit y en avoir 500. Manifestement, il vient au Tibet pour faire du business. Alors les douaniers commencent à compter combien il y en a, la qualité, etc. Ben oui, il faut bien savoir les taxes qu'ils vont lui faire payer! Bref, cela prend deux bonnes heures de gérer ce problème.


Maintenant le groupe est constitué de neuf personnes, en plus de celles qui étaient avec moi dans le 4X4, il y a un couple de hollandais, un chilien et un espagnol. Nous repartons vers la première ville étape et c'est clair, c'est un autre monde, la route est nickel! Bon on passe deux check-point en 20 kilomètre où nous devons montrer patte blanche, passeport et visa. Le chinois au Tibet n'est pas cool! A 18h30, nous arrivons enfin (on se prend 2h dans la vue de décalage horaire vu qu'en Chine, où que tu sois, l'heure officielle est celle de Pékin). Notre guide nous fait un briefing sur la suite du parcours, le nombre important de check-point que nous allons avoir, le fait qu'on ne peut pas se promener seul trop loin de l'hôtel, qu'il ne faut surtout pas prendre de militaires en photos, etc...


Dimanche, départ à 9h30. Il a neigé hier et je ne regrette vraiment pas l'achat d'une doudoune à Katmandou. Il fait un froid de gueux même si le soleil brille et le vent n'aide pas. Nous nous arrêtons plusieurs fois, une première pour observer un monastère haut perché, une seconde fois une cascade. Nous passons par un sommet à 5200 mètres et des poussières et continuons jusqu'au lac Païku Co qui est à 4500 mètres d'altitude. Les paysages sont absolument magiques! A partir du lac, il n'y a plus de neige mais de vastes étendues caillouteuses, désertiques, où ne pousse que de malheureuses touffes d'herbes. Tout au long de la route, nous traversons très peu de village (en même temps il y un peu moins de 3 millions d'habitants au Tibet) et croisons quelques yak et troupeaux de chèvres pashmina et brebis. Je me demande comment peuvent faire les gens pour vivre ici. Certes c'est magnifique mais complètement inhospitalier. En fait, je me sens complètement minuscule dans cet environnement.



Nous arrivons à Tingri (4300 mètres) où nous allons passer la nuit. Je ne suis pas dans une forme éblouissante car je souffre un peu du mal des montagnes, un peu nauséeuse. Un doliprane et au lit de bonne heure.


Lundi, nous partons à nouveau à 9h30. Je me sens mieux, manifestement je me suis adaptée. Nous nous arrêtons quelques kilomètres après notre départ car nous pouvons voir le toit du monde, et oui, je vois à nouveau l'Everest!



Les paysages restent les mêmes, grandioses et inhospitaliers. Nous passons un autre col à 5200 mètres et commençons à redescendre. Progressivement, la nature devient moins austère. Quelques arbres font leur apparition et surtout on commence à apercevoir de la terre arable. Les agriculteurs sont d'ailleurs en train de labourer à l'aide des yaks.



En chemin, nous nous arrêtons pour déjeuner. Nous avons demandé à notre guide d'aller dans un restaurant local et pas pour touriste. Il s'exécute et le moins qu'on puisse dire, c'est que lorsque nous rentrons, nous faisons sensation! Tout le monde nous regarde et cela va durer tout le temps que nous allons y passer. Quand nous voyons qu'on nous regarde, nous lançons un Tashi delek (bonjour) et cela les fait mourir de rire. En arrivant à Shigatse (3800 mètres), qui est la deuxième ville du Tibet avec 720 000 habitants, nous allons visiter le monastère Tashi Lhunpo. Il a été fondé par le premier Dalaï-Lama en 1447. C'est devenu le siège du Panchen-Lama depuis le 4ème Panchen-Lama. Alors que je vous explique, le Panchen-Lama est, d'un point de vue religieux, l'équivalent du Dalaï-lama mais lui, n'a aucune dimension politique. A l'heure actuelle, c'est le 11ème Panchen-Lama qui siège, enfin qui siégerait si on savait où il est. En effet, il est porté disparu depuis 1995, détenu par les chinois... Il y a environ 800 moines qui vivent et étudient dans ce monastère. Les chapelles sont très belles mais vous ne verrez pas de photos, interdiction absolue d'en prendre et il y a des caméras partout donc pas possible de gruger.



Mardi, après un passage au poste de police pour que notre guide puisse signaler notre passage (et oui, quand ce ne sont pas des check-points, ce sont des déclarations à la police qui sont nécessaires), nous nous dirigeons vers Gyantse (4000 mètres), notre étape du jour. Plus nous avançons, moins la nature est hostile, enfin tout est relatif. Il y a de plus en plus de champs. Nous traversons la principale zone de production de l'orge qui va devenir la tsampa, un aliment de base du Tibet, une fois qu'elle est grillée et moulue.



L'étape du jour est courte et nous arrivons à Gyantse vers midi. Nous déjeunons, toujours local. Puis nous allons visiter le monastère Palcho. En chemin, nous nous arrêtons pour admirer le Dzong (la forteresse). Elle aurait été construite en 1390. Elle a été en partie détruite lors de l'invasion britannique en 1903-1904 mais restaurée à l'identique. L'ensemble est absolument magnifique perché sur son éperon rocheux.



Le monastère date de 1418. Il a été abîmé pendant l'invasion anglaise et mis à sac pendant la révolution culturelle mais a, depuis, été restauré. Dans ce monastère, trois des quatre écoles du bouddhisme tibétain sont réunis. Oui, il y a 4 "sectes" dans le bouddhisme tibétain :

- la secte Nyingmapa, la plus ancienne et le deuxième plus grand courant. Elle diffère des autres par son caractère méditatif

- la secte Kagyupa, datant du XIème siècle et se basant essentiellement sur la transmission orale

- la secte Sakyapa, la plus petite école, fondée en même temps que le monastère Sakya est axée sur l'ascétisme

- la secte Gelugpa ou secte des bonnets jaunes est la plus grande école. Elle a été fondée à la fin du XIVème siècle, c'est donc la plus récente. Les Gelugpas se distinguent de par leur intérêt particulier pour l'érudition et la formation textuelle

Dans l'enceinte, il y a un Kumbum (stupa tibétain) sur 4 niveaux qui est très beau et le monastère présente de superbes chapelles. Comme notre guide, Peima, est top, la visite est géniale.



Mercredi matin, nous partons pour notre dernière étape qui va nous conduire à Lhassa. Cela va être une succession de paysages plus beau les uns que les autres. Pour commencer, nous nous arrêtons au bord d'un lac artificiel, lié à un barrage. La vue est juste extraordinaire!



Nous reprenons la route et passons juste à côté du Noijin Kangsang, le plus haut sommet de la chaîne Lhagoi Kangri (7191 mètres). Cela ne nous semble pas aussi haut, il faut dire que la route où nous sommes est à 4500 mètres d'altitude... La campagne autour de ce sommet est juste waouh!



Nous poursuivons notre route jusqu'au Yam Drok Lake qui est l'un des trois plus grands lacs sacrés du Tibet. Il fait plus de 72 kilomètres de long. Nous nous arrêtons à plusieurs points de vue. A chaque fois, moyennant finances, on peut se promener et se faire photographier sur un yak ou bien se faire prendre en photo avec des mastiffs du Tibet, ces magnifiques et énormes chiens qui ont d'épaisses crinières. Les vues sont plus incroyables les unes que les autres! Un vrai régal.



Plus nous approchons de Lhassa et moins la nature semble hostile. Il y a quelques "forêts" enfin plus d'arbres et plus de champs.


Jeudi, nous partons visiter deux monastères des environs de Lhassa. Nous commençons par le Drepung Monastery. C'est l'une des trois grandes universités monastiques gelugpa du Tibet. Il a été fondé en 1416. Il a été le siège du gouvernement du Vème Dalaï Lama avant la construction du Potala. Il y a des peintures murales absolument magnifiques, les chapelles sont également très belles mais pas le droit de prendre des photos à l'intérieur comme dans la plupart des monastères tibétains.



Après le déjeuner, nous visitons le Sera Monastery qui est également une université gelugpa. Il date de 1419. Je le trouve moins beau que Drepung. Pendant la visite, nous assistons à un débat philosophique entre moines. Clairement, cela n'a rien à voir avec les débats en Europe. Un moine est assis et un autre debout. Lorsque celui qui est debout pose une question, il a une espèce de lancer de pied et en même temps il frappe dans ces mains, genre provocation. C'est surprenant! Sachant qu'il y a environ une cinquantaine de "couples" en train de débattre, il y a pas mal de bruit. On sent par moment que chacun défend son bout de gras avec beaucoup de virulence mais aussi le sourire. Intéressant à suivre.



Le soir, après le dîner, je vais jusqu'au Potala avec Lis et Jean-Paul, le couple hollandais. Nous le regardons s'illuminer tandis que la nuit tombe. Il est gigantesque et magnifique!



Vendredi, nous allons enfin visiter le Potala. Il date du XVIIème siècle et a été le lieu de résidence principal des dalaï-lamas successifs. Il comprend un "palais blanc" et un "palais rouge" incarnant ainsi l'union du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel et leur rôle respectif dans l'administration de la théocratie tibétaine. Il y a beaucoup de touriste chinois et nous demandons ce que peuvent bien leur raconter leur guide comme "propagande". Même si la visite est agréable, je suis frustrée car elle est limitée à 1h ce qui la transforme en course. Impossible de savourer la beauté des peintures, des chapelles, etc. Le Potala abrite les sépultures de 8 des derniers dalaï-lamas dont celle du Vème qui est la plus grande et la plus belle de toutes. Elle est constituée de bois de santal plaqué de feuilles d'or (représentant environ 3,8 tonnes) et sertie de milliers de diamants, perles, agates et autres pierres précieuses.



Du palais, on a une vue extraordinaire sur la ville.



Après avoir déjeuné dans la vieille ville, nous allons visiter le monastère Jokhang. Les Tibétains, en général, considèrent ce temple comme le temple le plus sacré et le plus important du Tibet. Il fait partie de l'école Gelugpa. La partie la plus ancienne du temple a été construite en 652. Comme d'habitude, impossible de prendre des photos à l'intérieur qui, de toute façon est très sombre et blindé de monde. Ici, encore plus que dans les autres monastères, l'odeur d'encens et du beurre de yak (pour les chandelles) est très prégnante, à la limite incommodante.



Le soir, comme c'est notre dernier jour ensemble, nous dînons tous ensemble avant de nous dire au revoir. Je suis la seule à rentrer sur Katmandou, ils vont tous en Chine.


Je vais maintenant vous parler de tout ce que nous a raconté, et dont je me souviens, Peima, notre guide et qui n'est pas forcément en lien avec les lieux visités.


De l'importance du yak, en particulier pour les nomades :

- c'est le seul animal dont on peut utiliser presque toutes les parties du corps. La viande est considérée comme le produit le plus important du yak sur le plan économique. C'est très nutritif, doux et juteux. De plus, la viande des yaks est presque sans gras et très saine,

- la laine est très importante pour la production de vêtements extrêmement chauds mais aussi de toiles "waterproof" qui sert pour les tentes des nomades,

- le lait de yak enfin de dri, la femelle du yak, est un des éléments principaux du régime des tibétains. Il est utilisé pour la fabrication de beurre, de fromage et d'autres produits laitiers. Il est extrêmement nutritif. Il est également utilisé pour les chandelles dans les temples et monastères,

- bien évidemment le cuir est très utile,

- les bouses séchées permettent de faire du feu dans un pays où le bois est une denrée rare,

- le yak sert d'animaux de trait mais également de portage (ici, contrairement au Népal, il n'y a pas de portage par les humains).


Les croyances diverses et variées :

- bien évidemment la réincarnation. Pour Peima, il n'y a aucun doute sur son existence sinon comment expliquer qu'un enfant reconnu comme étant la réincarnation du panchen-lama puisse tout connaître du monastère Tashi Lhunpo sans jamais y avoir mis les pieds?

- la lévitation des moines qui méditent, certains l'ont vu donc cela existe,

- les statues de bouddha qui parlent à ceux qui le méritent,

- le yeti, pas de doute, il existe certains ont vu ses traces de pas sur l'Everest,

- et le plus fort de tout, le premier-né d'un aigle est un chiot (?!?) qui bien évidement ne survit pas car sa mère ne peut pas le nourrir. La preuve, des personnes trouvent régulièrement des os de chiots dans le nid des aigles.

D'une manière générale, il n'y a aucune remise en question de certaines croyances. Si une personne affirme avoir vu alors cela existe, c'est un fait. Manifestement, la notion de mythomanie semble étrangère aux tibétains. En même temps Peima comprend tout à fait notre scepticisme mais il nous explique que pour eux, il n'y a aucun doutes sur les points mentionnés au-dessus.


La religion est omniprésente au Tibet. Il est très fréquent de voir des personnes en train de marcher dans la rue en égrenant un mala dans une main et tournant un moulin à prière de l'autre main, tout cela en ânonnant des mantras. Bon, il est vrai que ce sont, pour ce que j'ai vu, toujours des personnes de plus de 40 ans. Tout se perd...


La croyance dans la réincarnation signifie que l’esprit d’une personne retourne sur terre dans un autre corps. La nouvelle sorte de vie est déterminée par la manière dont on a vécu sa vie précédente ou par son karma et peut déboucher sur une renaissance négative ou positive. Le tout et le but est en définitive de mener une existence suffisamment pure pour finir par connaître l’illumination et l’état de nirvana. Cette croyance engendre une sorte d'acceptation de son sort. Par exemple, Peima aimerait voyager mais ne le peut pas, cependant, il ne nous jalouse pas. Il considère que nous avons été "meilleurs" que lui dans nos vies antérieures ce qui explique pourquoi nous pouvons voyager et pas lui.


Je vais maintenant vous parler de ce que j'ai vu par rapport à la situation au Tibet. On est en Chine mais c'est plus dur que dans les autres provinces. Je m'explique, au Tibet on ne fait pas 50 kilomètres sans croiser un check-point où il faut montrer patte blanche. Je n'ai pas vu cela lors de mon voyage en Chine en septembre. D'une manière générale, il y a beaucoup plus de contrôles divers et variés. Peima demande un passeport depuis 7 ans, il attend encore... Il semblerait qu'un tibétain n'ait pas droit au même traitement qu'un chinois même si, de fait, compte-tenu de l'annexion du Tibet à la Chine, il est chinois. Il semble que les tibétains n'osent pas s'exprimer. Nous avons essayé de poser des questions à Peima sur ce qu'il pensait de la situation, toujours dans des espaces clos et loin de toute oreilles et en essayant de ne pas le mettre mal à l'aise. Il a toujours louvoyé et détourné la conversation.


En ce qui concerne la culture tibétaine, je crains qu'elle ne vive ses dernières années. Les quelques villes où nous sommes arrêtés n'ont plus rien de tibétain. J'avais l'impression d'être en Chine. Seul le vieux centre-ville de Lhassa ne m'a pas donné ce sentiment. Bien évidemment peu de jeunes portent encore la tenue traditionnelle. Les monastères se vident, la vie monacale n'a plus la côte. Les enfants tibétains parlent chinois à l'école....